Les résistances au changement
L’observation des organisations montre que les principaux obstacles au changement sont avant tout d’ordre immatériel…
LES OBSTACLES AU CHANGEMENT
L’insuffisance des moyens matériels et financiers est souvent présentée comme constituant le principal obstacle au changement.
Or, dans un pays comme la France, les moyens existent. De surcroît, l’observation des organisations montre que les principaux obstacles au changement sont avant tout d’ordre immatériel.
Il s’agit principalement :
- des schémas mentaux de représentation de la réalité des dirigeants et cadres,
- de la culture d’organisation,
- des jeux d’acteurs, – de la compétence des cadres,
- des obstacles spécifiques à chaque organisation.
Les schémas mentaux des dirigeants et cadres
Le premier obstacle au changement provient des schémas mentaux que les dirigeants et cadres d’une organisation ont en tête. En effet, lorsque le monde change, si les hommes et femmes qui constituent une organisation et la font vivre, et en tout premier lieu les dirigeants et cadres qui prennent les décisions, ne font pas évoluer au même rythme leurs schémas mentaux, ils prennent des décisions fondées sur de fausses hypothèses et bloquent les transformations nécessaires. Il faut donc, en permanence, que les dirigeants et cadres s’ouvrent sur l’extérieur, se forment, voyagent, participent à des colloques … pour intégrer « dans leur tête » les mutations de l’environnement et les transmettre à leurs collaborateurs.
La culture d’organisation
La culture d’une organisation est l’ensemble des éléments qui permettent à ses membres de vivre, communiquer et travailler ensemble. C’est la façon collective de résoudre les problèmes.
La culture remplit deux fonctions :
elle constitue un facteur essentiel de cohésion interne, puisqu’elle permet aux membres de vivre ensemble, et en ce sens, elle constitue une force de conservation, un obstacle au changement,
elle fournit une façon de s’adapter aux défis de l’extérieur en offrant des méthodes positives de résolution de problèmes, et des croyances qui permettent de faire face à l’anxiété.
Les organisations performantes sont celles qui savent s’appuyer sur leur culture pour la faire évoluer, et non celles qui la cassent, car lorsqu’il faut briser une culture, cela signifie qu’on n’a pas sur la faire bouger en temps voulu.
Pour faire bouger une culture, ce sont les managers qui doivent agir et prendre des décisions qui clarifient les missions, qui doivent repenser l’organisation et faire évoluer le mode de fonctionnement.
Les discours sur la nécessité de changer de valeurs sont inopérants. On manage par des actes, non pas l’incantation.
La communication joue un rôle important, mais d’accompagnement, elle ne saurait remplacer l’action.
Le » jeu des acteurs «
Toute organisation est constituée avant tout d’hommes et de femmes. Ce sont eux qui font vivre, évoluer ou régresser l’organisation. Rien ne peut se faire sans eux.
Or, les acteurs ont une tendance « naturelle » à refuser le changement pour une raison essentielle : chacun sait ce qu’il va perdre, mais ne sait pas ce qu’il va gagner.
En effet, dans toute organisation qui a une certaine ancienneté, chaque acteur, du plus petit au plus grand, s’est forgé une » aire de liberté « .
Celle-ci repose sur trois éléments essentiels :
- les informations dont dispose chaque acteur, qui ne lui servent réellement que dans l’organisation qu’il connaît,
- les savoir-faire qu’il a appris et qui risquent de ne plus lui servir pareillement dans une organisation modifiée,
- les réseaux qu’il s’est forgés et qui lui permettent de savoir et d’agir le plus efficacement possible.
Toute modification de l’organisation menace donc les acteurs, qui auront, pour première réaction, une attitude de refus, ou au moins de méfiance, à l’égard de tout projet de changement.
Pour modifier une organisation, il conviendra donc :
- de consulter, informer, dialoguer le mieux possible,
- de procéder à une « analyse stratégique », c’est-à-dire l’étude du « jeu des acteurs » probable face aux changements que l’on souhaite mener.
A cette fin, il convient de ne pas se contenter de concevoir un beau projet « sur le papier », mais de toujours se demander : « face à mon projet » :
- quels sont les enjeux, c’est-à-dire : qui va gagner quoi, qui va perdre quoi ?
- ne peut-on faire autrement ?
- sur quels alliés objectifs puis-je espérer m’appuyer ?
Alors seulement, on peut se lancer dans la réalisation du changement.
La compétence des cadres
Tout cadre qui a en charge une équipe doit exercer deux métiers : celui résultant de sa technicité de base et celui de manager.
Aux premiers niveaux d’encadrement, la légitimité du cadre repose sur sa technicité de base ; il se considère et apparaît simplement comme un primus inter pares.
Aux niveaux supérieurs, par contre, ce sont les compétences managériales qui fondent la légitimité du dirigeant.
Aux niveaux intermédiaires, c’est un mélange des deux.
Généralement, les cadres ne sont pas assez formés aux fonctions de management. Ils ont donc parfois tendance à se réfugier dans la technique (c’est sécurisant) et à le justifier en affirmant que le management n’est pas adapté à leur entreprise ou service (sans pouvoir expliquer pourquoi).
Or, changer une organisation suppose que les cadres sachent faire travailler différemment leurs collaborateurs ensemble, c’est-à-dire manager.
LES PRATIQUES ACTUELLES
Ce vers quoi on tend : le management responsabilisant
Pour répondre à la demande de sur-mesure personnalisée, de simplicité et de rapidité des clients et citoyens, il est nécessaire de renverser la logique taylorienne et d’instituer un management responsabilisant, que d’aucuns dénomment « participatif ».
Mais ce terme prêtant à confusion, il nous semble préférable de mettre l’accent sur la responsabilisation de chacun, plutôt que sur la participation.
Le management responsabilisant se caractérise par quatre traits simples :
- consulter les personnes qui auront à mettre en œuvre une décision d’orientation nouvelle avant de la prendre : le temps apparemment perdu pour prendre cette décision sera largement regagné au moment de son application, grâce à une meilleure adhésion de ceux qui ont la charge de l’appliquer ?
- responsabiliser sur l’atteinte d’objectifs et non sur des tâches à réaliser,
- déléguer les décisions opérationnelles là où les gens sont les plus compétents pour les prendre (principe de subsidiarité) : inciter à la prise d’initiatives dans le respect des principes et des orientations définis en amont, et imposer un système de compte rendu permanent, notamment pour tout ce qui a un caractère « a-normal »,
- favoriser les décloisonnements, tant verticaux pour tout ce qui concerne l’information, qu’horizontaux pour tout ce qui concerne la concertation et la coordination des actions.
Comment opérer ?
Contrairement à une littérature journalistique récente qui préconise un peu trop facilement de « casser la culture » ou « changer les valeurs » d’une organisation pour la transformer, il nous apparaît au contraire qu’il faut s’appuyer sur sa culture pour la faire évoluer, et que ce sont les transformations concrètes qui entraîneront une mutation progressive des valeurs (cf. § 12).
Pour mener les changements, les organisations sont conduites à travailler en profondeur, c’est-à-dire dans la plupart des cas à :
- redéfinir ou repréciser leurs missions, métiers, valeurs, objectifs et stratégie,
- repenser les structures,
- concevoir de nouveaux modes de fonctionnement,
- travailler par objectifs,
- élaborer des systèmes de pilotage, mettre en place un contrôle de gestion,
- instituer des entretiens annuels d’activité et évaluer leurs compétences,
- repenser, lorsqu’elles le peuvent, leur système de rémunération.
En tout état de cause, ces changements portant sur des évolutions en profondeur du fonctionnement des organisations, prennent toujours du temps et c’est normal.
L’intégration du temps dans une stratégie de changement est d’ailleurs une condition fondamentale de sa réussite. IL faut analyser la situation, concevoir les transformations à mettre en œuvre, prendre les décisions qui s’imposent, acquérir les moyens et outils requis… Et surtout, il faut faire évoluer les mentalités et les comportements des cadres et agents, qui sont le résultat de longues années de fonctionnement sur le mode passé, et qui ne sauraient changer, comme par miracle, en quelques semaines.
Il convient donc de se hâter lentement, afin que les esprits mûrissent que l’ensemble (ou au moins une large majorité) du corps social avance de concert.
Dans toutes ces circonstances, le processus compte autant que le produit fini. Mais puisqu’il faut du temps, les collaborateurs cadres et agents risquent de se demander qu’ils ne voient rien changer, si tout cela n’est pas que de la » poudre aux yeux « , une façon d’amuser la galerie pour que rien ne bouge.
D’autant que parfois, dans un passé récent, on leur a déjà annoncé des changements, et qu’ils n’ont rien (ou presque rien) vu venir.
Il convient donc, très vite, de prendre des mesures ayant vocation à constituer des » actes symboles « , et destinées à crédibiliser la volonté réelle de mettre en œuvre les transformations annoncées.
Ces actes symboles doivent être des évolutions qui, en tout état de cause, devraient être menées, et qui ne contrarient pas les mutations plus profondes qu’il y aura lieu de réaliser.
Lesquels direz-vous ? C’est facile : il existe quasiment dans toute direction, service ou unité, des choses que les collaborateurs demandent et attendent depuis des années, qui sont inéluctables, et que l’on repousse sans cesse à plus tard.
IL suffit d’y réfléchir un court moment, de les choisir, puis de les concrétiser. Ce sera le meilleur témoignage de la détermination à aller plus loin, et souvent le déclic qui permettra de dépasser le scepticisme ambiant.
Dans toute démarche de changement, la communication joue un rôle central. Elle constitue un volet stratégique du processus car elle est un des moyens essentiels pour faire adhérer. Il convient donc de la penser dès le départ, et de savoir qu’elle devra être modulée selon les différentes phases de la démarche.
Avant même le lancement des actions de changement, la communication devra expliquer :
- Le pourquoi de celles-ci, y préparer les esprits, convaincre de leur nécessité, contrer l’individualisme : elle sera alors principalement informative.
- Dans un second temps, elle sera confrontée à la résistance des acteurs, qui commenceront à être déstabilisés par rapport à leur fonctionnement antérieur, et s’interrogeront sur le » comment procéder « . Elle deviendra alors surtout explicative sur les étapes et les façons d’agir.
- Dans un troisième temps, les doutes apparaîtront sur les chances de réussite des évolutions. La communication devra, à ce moment, être surtout sécurisante, en montrant tout le chemin parcouru et sa conformité avec les prévisions.
- Enfin, lorsque les premiers succès apparaîtront, mais que le terme du processus sera encore loin, elle pourra devenir laudative, en mettant en valeur les réussites collectives.
Tout cela n’est évidemment pas linéaire mais itératif : bien des retours en arrière seront nécessaires.
A lire également : La lettre Innovence N° 15 : « Par delà la conduite du changement : le rafting management. »